Lorsque les Espagnols ont débarqué sur le Nouveau Monde, et au fur et à mesure de leurs découvertes, une priorité pour eux a été d’enregistrer le plus d’informations possible afin que, resté en métropole, le Roi connaisse l’ampleur de ses nouvelles propriétés : la géographie (faune et flore), le récit des conquêtes de ses fidèles serviteurs et de leurs exploits, le mode de vie des indigènes (ethnographie)… Le caractère justificatif de ces écrits est indéniable (ils étaient commandés par la royauté), et leur but premier est ouvertement de faire l’éloge des conquérants, de leurs prouesses, de la noblesse de leur geste (civiliser ces tribus barbares et sauver leurs âmes en les convertissant au catholicisme). Les comparaisons avec les conquêtes précédentes abondent, toutes allant dans le même sens : la conquête des Amériques est la découverte majeure et la plus grande épopée de tous les temps. Seules quelques voix se sont élevées contre les injustices commises, comme par exemple le frère jésuite Bartholomé de las Casas (qui provoqua la Junta de Valladolid sur la question « Les indiens n’ont-ils vraiment pas d’âme ?) et Guaman Poma de Ayala, indigène péruvien, qui donne la vision des Incas sur leur culture saccagée.
Présents dans tout le continent latino-américain, le Pérou compte trois grands chroniqueurs : l’Inca Garcilaso de la Vega, Pedro Cieza de Leon, et Felipe Guaman Poma de Ayala.
Le plus connu, Garcilaso de la Vega, est le fils d’un conquistador espagnol et d’une princesse inca, de la famille impériale. Il vécut à Cusco jusqu’à la mort de son père, où il partit pour l’Espagne. Son œuvre majeure est intitulée « Commentaires Royaux des Inca » : dans une première partie, il compile des descriptions de la lignée royale de sa mère, et dans une deuxième partie, les descriptions de la conquête espagnole. Issu lui-même d’un mélange entre les deux civilisations, on le considère comme le premier métis «biologique et culturel » des Amériques : il explique de façon moins péjorative les mœurs des indigènes (les histoires transmises par sa famille maternelle, royale, décrivent décrit l’empire inca comme bon et juste et grand, où il n’y avait pas de sacrifice humain et pas de mendiant dans les rues), mais d’autre part, il justifie la conquête espagnole par la nécessité d’imposer la loi chrétienne à ces infidèles. Les informations rassemblées dans son œuvre sont le produit de ses souvenirs personnels, d’informations transmises par sa famille proche et de ses nombreux voyages aux quatre coins du pays.
Pedro Cieza de Leon fut probablement le plus proche des chroniqueurs sud-américains de la couronne espagnole. Né en Espagne, il s’embarque d’abord pour le Nouveau Monde dans le but de participer à des expéditions militaires –et de faire fortune. Il participe à la fondation d’un certain nombre de villes à l’intérieur des terres, puis, revenant à Lima, il se voit confier la responsabilité de chroniqueur officiel. Il lui faut rassembler des informations : pendant deux ans, il parcourt le Pérou, et son œuvre donne des renseignements précieux particulièrement sur la géographie du pays, la faune et flore native, ainsi que des indices ethnographie, et le récit des guerres civiles entre Espagnols après la fin de la conquête stricto sensu.
Felipe Guaman Poma de Ayala est né à Ayacucho, dans les Andes centrales, d’une famille de nobles locale, mais il fut élevé par des Espagnols. Déplacé par les violences de la conquête, il parcourut le pays pendant 20 ans pour écrire « Nouvelles Chroniques et Bon Gouvernement », dans le but de l’envoyer à la couronne d’Espagne et de dénoncer les atrocités commises pendant la conquête, à travers les yeux et l’histoire des populations indigènes. Ses chroniques comprennent une histoire de la dynastie des Incas, une synthèse de la cosmovision indigène, la description de la société après la conquête, le tout orné d’illustrations et détails cruels en abondance. Cette œuvre représente la critique la plus virulente à la conquête et à la domination espagnole écrite par un indigène pendant l’époque coloniale.